Des héros en butte à leur propre passé

« Messire Shardlake ? Vous êtes en avance. » Je me demandai comment il m’avait reconnu, mais je compris qu’on lui avait annoncé un bossu.
Dissolution, C. J. Sansom

Le passé et l’histoire familiale de Louis Fronsac sont assez bien connus. C’est naturel, car il est notaire et fils de notaire, et le propre des notaires est de tout consigner. Mais la vie des autres héros de polars historiques est moins simple et moins connue, parfois par eux-mêmes. Leurs aventures sont souvent marquées par une recherche de leurs origines et de leur identité, en parallèle de leurs enquêtes criminelles. P. D. James dit que tout bon roman policier touche de près ou de loin à une quête d’identité.
Certains héros préfèrent oublier leur passé et se plonger, libérés (croient-ils), dans l’aventure. Malgré leurs blessures, ils font face au présent et à l’avenir. Leur passé est aussi source de nostalgie et d’amertume. Comme l’écrit  P. C. Doherty au sujet de Corbett et de Ranulf, « ils gagnent des batailles, mais le coût de chaque victoire n’est jamais innocent. »
Un exemple de personnage déraciné, arraché à sa famille et à sa terre, est celui de Molly Murphy, l’héroïne de Rhys Bowen. Molly fuit en Amérique en 1901 pour échapper à la police après avoir tué un homme alors qu’elle se trouvait en état de légitime défense. C’est un saut dans l’inconnu pour elle, mais aussi une libération du carcan dans lequel elle vivait en Irlande, et l’opportunité tant attendue que ses rêves se réalisent.
Cette fragilité des héros suscite l’empathie du lecteur, qui s’attache autant à leur évolution personnelle qu’à l’avancée de l’intrigue.

Meurtris par l’histoire

Certaines de leurs blessures sont liées à la grande histoire. Crispin Guest, héros de Jeri Westerson, est un chevalier déclassé qui a perdu son argent, ses terres et son rang après un scandale politique. Aristide Ravel est un enquêteur que Susanne Alleyn a placé dans le Paris des années 1790. Il est hanté par l’idée qu’il a pu envoyer un grand nombre d’innocents à la guillotine pendant dix années de service dans la police en ces temps troublés.
La Première guerre mondiale a décimé les populations d’Europe et les familles de nos héros. Daisy Dalrymple, la journaliste de Carola Dunn qui vit dans les années 1920, a perdu son père dans l’épidémie de grippe espagnole et son frère dans les tranchées. C’est aussi la grippe espagnole qui a emporté la mère de Conrad Labarde, dans Amagansett de Mark Mills. Après cette tragédie, le père a décidé d’aller vivre en Amérique avec ses deux fils (Conrad ressortira de la Seconde guerre mondiale ébranlé psychologiquement). Maisie Dobbs est orpheline de mère à treize ans et a été confiée par son père, marchand des quatre saisons, à une famille de la haute bourgeoisie. Son fiancé perd la raison sous un bombardement sur le front de la Grande guerre. Ian Rutledge, le personnage de Charles Todd, est hanté par la voix du caporal Hamish MacLeod, qui se trouvait sous ses ordres en 1916 et que Rutledge a été obligé de faire fusiller pour insubordination.

Ce texte est un extrait de l’ouvrage Le roman policier historique. Histoire et polar, autour d’une rencontre.

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