Emules de Sherlock Holmes avant l’heure

Le texte suivant est extrait de notre ouvrage Le roman policier historique. Histoire et polar, autour d’une rencontre.

Selon Amy Myers, le roman policier historique est le seul lieu qui laisse aujourd’hui une vraie place au détective amateur : « Une des raisons qui m’ont attirée vers le polar historique (outre mon intérêt pour le genre) est qu’il me dispensait d’avoir affaire aux policiers modernes. Dans l’enquête criminelle aujourd’hui, l’importance des technologies modernes et des techniques est telle, que le détective amateur a un rôle plus difficile. Les possibilités pour les détectives amateurs sont beaucoup plus larges dans les romans historiques. Ils peuvent au besoin disposer d’un grand éventail de connaissances médicales et scientifiques. Et, bien sûr, ils peuvent aussi avoir un bon ami à solliciter à Scotland Yard ou chez un ancêtre de cette vénérable institution. »

Avant que la police et les méthodes d’investigation ne se perfectionnent, les seules armes de l’enquêteur étaient le bon sens, l’observation et l’esprit de déduction. Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre Des héros en avance sur leur temps, les détectives du passé manient ces outils à la perfection ou apprennent vite à le faire. Par esprit de filiation et/ou de dérision, leur créateur les façonne parfois à l’image du modèle incontesté et emblématique du détective amateur qui vit en marge de la société pour mieux l’observer : Sherlock Holmes1. « Dans ces romans policiers, écrit Isabelle Le Guern, le portrait de l’enquêteur se dessine par contraste avec son époque. Figures anachroniques, les personnages chargés de résoudre des énigmes en se livrant à un raisonnement hypothético-déductif apparaissent comme des esprits éclairés, isolés dans les temps obscurs qu’ils traversent. Qu’il s’agisse de Guillaume de Baskerville, de frère Cadfaël ou de Hugh Corbett, tous sont des esprits en avance sur leur temps notamment dans l’usage qu’ils font de leur raison afin de résoudre les énigmes qui leur sont proposées. L’anachronisme est évidemment très perceptible avec la figure de Guillaume de Baskerville, fortement inspirée du Sherlock Holmes de Conan Doyle, ne serait-ce que par la référence explicite au roman Le chien des Baskerville. La description de Guillaume confirme cette référence : « Sa taille dépassait celle d’un homme normal, et il était si maigre qu’il en paraissait plus grand. Il avait les yeux vifs et pénétrants ; son nez effilé et légèrement aquilin conférait à son visage l’expression de quelqu’un qui veille, sauf dans les moments de torpeur dont je parlerai. » On le verra ensuite méditer dans la plus complète immobilité, et même s’adonner aux paradis artificiels afin d’aiguiser son esprit, comme son illustre modèle. »

Dans Le Chiffre de l’alchimiste, Philip Kerr prête à Isaac Newton des méthodes très holmésiennes.

« Montre-lui une tête d’épingle, et il te dira le nom et l’adresse de son propriétaire », dit-on de Dieudonné Danglet dans Les Croix de paille. Dès qu’il réfléchit, Dieudonné se met à arpenter le sol les mains dans le dos. Il se promène avec Le Discours de la méthode en poche et lit Le Journal des Sçavans. Il a connu de multiples expériences avant d’entrer au service de La Reynie. Ajoutées à son éducation chez les oratoriens de Vendôme, elles lui ont permis de se forger à vingt ans un raisonnement cartésien. Une enquête est pour lui un ensemble d’équations mathématiques, ce qui rappelle, bien sûr, les méthodes de travail du locataire du 221b Baker Street.

Quant à Louis Fronsac, « Il était ainsi capable d’assembler en de claires évidences des faits ou des observations si ténus ou si différents qu’ils n’auraient jamais attiré l’attention du commun des mortels » (La Vie de Louis Fronsac).

On pourrait encore citer Bellamy d’Itchen, le chevalier enquêteur de Roberta Gellis, et de nombreux autres héros de polars historiques. Le chapitre « Naissance et développement de la police et de l’enquête indiciaire » présente les méthodes de certains d’entre eux.

1Qui se trouve être par ailleurs un des personnages de fiction les plus populaires au monde, derrière le cowboy de Marlboro, Big Brother, le roi Arthur, le père Noël, Hamlet, la créature du docteur Frankenstein, Siegfried, et devant Roméo et Juliette, Dr. Jekyll et Mr. Hyde, l’Oncle Tom, Robin des bois, Jim Crow, Oedipe, Lady Chatterley, Ebenezer Scrooge, Don Quichotte, Mickey, etc.

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