Hôtel Adlon, par Philip Kerr

Les très bons polars historiques ne sont pas légion. En voici un à mettre sur le dessus de la pile. C’est du très bon Kerr. Un grand roman tout court. Ce pavé de 500 pages se lit d’une traite, avec tout ce qu’on aime : un héros face à un monde hostile dans lequel vivent tout de même quelques êtres bons (mais pas beaucoup) ; un cynisme à la Raymond Chandler présent dans chaque page ; une vraie enquête qui progresse pas à pas ; une intrigue sentimentale qu’on n’a pas l’impression d’avoir lue et relue ; des personnages de second plan qui ont de l’épaisseur, etc.

C’est aussi un roman qui aurait tout aussi bien pu s’arrêter page 326, lorsqu’en 1934 Gunther a apparemment démêlé l’écheveau de malversations économiques ayant conduit à la mort de plusieurs personnes. Mais la seconde partie, reprenant à La Havane 20 ans après, lorsque Gunther rencontre par hasard Noreen Charalambides et Max Reles (voir ci-dessous), réserve quelques autres surprises…

L’intrigue.
Bernie Gunther, ancien flic sous la République de Weimar, est devenu simple agent de sécurité à l’hôtel Adlon à Berlin car il n’adhère pas franchement aux idées nazies. Un homme d’affaires est découvert mort dans sa chambre. S’agit-il d’une mort naturelle ? Un autre client, américain, Max Reles, demande à Bernie de récupérer un objet d’art qui lui a été volé à l’hôtel. En même temps, le détective apprend par ses contacts à la police criminelle qu’un Juif a été retrouvé noyé dans un canal de la ville, les poumons remplis d’eau de mer. Personne ne comptant prendre l’affaire en mains, Bernie s’y colle.
Il est mis en relation par la directrice de l’Hôtel Adlon avec une (magnifique, évidemment) journaliste américaine, Noreen Charalambides, qui voudrait écrire un reportage sur le sort de ce noyé – que Gunther soupçonne d’être un ouvrier travaillant à la construction du stade olympique – afin de dissuader les États-Unis de participer aux Jeux de Berlin en 1936.

Bernie enquête entre ses anciens contacts à la police, devenus des nazis plus ou moins convaincus, les milieux de la boxe qu’il connaît bien, les milieux juifs clandestins.

Pour faire monter la tension, Philipp Kerr n’utilise pas ici une technique commune des auteurs de polars, efficace mais souvent artificielle, qui est celle des points de vue multiples et consiste à promener le lecteur d’une scène à une autre, l’action se déroulant dans différents lieux, parfois simultanément. Le lecteur d’Hôtel Adlon est pris en main par Bernie Gunther. Il suit pas à pas ses raisonnements, ses déplacements, ses découvertes. Bernie a juste, le plus souvent, quelques secondes d’avance sur ce que le lecteur pressent. Le grand art de Philip Kerr est d’éviter tout cliché et d’être constamment dans le ton juste de son personnage et sans doute de l’époque (bien que cela soit plus difficile à estimer pour des non-spécialistes ; mais nous pouvons sans doute faire confiance à l’auteur).

About Jack Sparks