Le Cimetière de Prague, de Umberto Eco

Quand Eco s’attaque au passé et au récit policier, il n’y va pas de main morte ! Après le volumineux et prenant Le Nom de la rose (1980), voici le volumineux et prenant Cimetière de Prague. Presque 550 pages, illustrées il est vrai par une riche iconographie issue de la bibliothèque personnelle de l’auteur. Il était surprenant que Eco ne se soit pas plongé plus tôt dans ce sombre et furieux XIXe siècle. Voilà qui est fait. Une fois de plus, le romancier, maître dans l’art du langage et de la narration, parvient dès les premières lignes à prendre son lecteur par la gorge et à ne plus le lâcher (le lecteur français se retrouvant sous la double emprise de Eco et de son excellent traducteur, Jean-Noël Schifano).

Le sujet : le héros, Simon Simonini, est un sale type qui vomit le monde entier et en particulier les Juifs, les Jésuites et les Francs-maçons. Il vit impasse Maubert (qui donne dans la rue Frédéric Sauton, près de Notre-Dame) à Paris. Nous sommes en 1897 et Simonini, écrivant son journal intime, revient sur les événements anciens et récents de sa vie. Élevé dans la haine des Juifs, il met au service de différents partis ses dons d’espion, de comploteur et de falsificateur. On le retrouve en Italie lors des campagnes de Garibaldi, à Paris lors de la guerre de 1870 et de la Commune puis lors de l’affaire Dreyfus. Eco en fait même l’auteur du faux bordereau à l’origine de l’affaire… et l’auteur des Protocoles des sages de Sion, une mystification attribuant aux Juifs un complot contre l’humanité.

Le Cimetière de Prague est une impressionnante plongée dans le Paris de la fin du XIXe siècle, que l’on parcourt de long en large pendant tout le récit et dont on rencontre des figures littéraires marquantes. Les lieux et les personnages du roman sont authentiques, à l’exception de Simonini. On baigne dans le souffle du feuilleton à la Dumas et à la Sue, avec en plus l’outrance du personnage de Simonini qui a choqué un certain nombre de lecteurs. Ils ont accusé Eco de promouvoir l’antisémitisme. Le romancier doit en sourire, lui qui s’est exprimé à plusieurs reprises – dans Apostille au Nom de la rose, Lector in fabula, etc. – sur les relations entre un auteur et ses lecteurs. Il est avec Pierre Bayard un de ceux qui, à partir des littératures policières et populaires, ont développé une réflexion originale sur le sujet (voir une des vidéos qui met en scène les deux hommes). Il précise d’ailleurs à la fin du Cimetière de Prague que les Simon Simonini sont toujours parmi nous.

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