Le Fer et le feu, de Bruce Alexander

À la différence du néo-polar où le crime ne vient que révéler un peu plus les faces troubles et cachées d’une société, le crime, dans le polar historique – comme dans le roman d’énigme classique – vient rompre l’harmonie d’un monde qui se passerait bien de lui. Dans les enquêtes de John Fielding imaginées par Bruce Alexander (magnifique série épuisée dont nous ferons régulièrement la louange jusqu’à ce qu’elle soit rééditée !), on verrait bien le digne magistrat passer ses journées à surveiller l’éducation de Jeremy Proctor, l’orphelin de 13 ans qu’il a pris sous son aile, à régler de menus litiges dans son tribunal de Bow Street et à poursuivre d’interminables débats juridiques ou littéraires avec son ami Samuel Johnson.

Dans Le Fer et le feu (Murder in Grub Street), seconde enquête de sir John, la belle harmonie du monde est brisée net au milieu d’une nuit par la découverte des cadavres d’Ezekiel Crabb, éditeur et libraire à Grub Street, de sa femme, de leurs deux fils et de leurs deux apprentis. Ce massacre perturbe d’autant plus le cours relativement tranquille de la vie qu’il était prévu que Jeremy démarre sous peu son apprentissage chez Crabb. Voilà donc le jeune orphelin obligé de rester un peu plus longtemps avec sir John… et être impliqué dans sa seconde grande enquête, après celle relatée dans Les Audiences de sir John.

Un « poète paysan », John Clayton, est aussitôt arrêté dans la maison du crime, une hache ensanglantée à la main. Son comportement est tellement incompréhensible lors de son jugement, qu’il est expédié aussitôt à l’asile de Bedlam – dont la description par Alexander est saisissante (le détour par la prison du Grand Châtelet, celle de Newsgate ou une autre est un passage obligé du polar historique qui a pour cadre le XVIIe ou XVIIIe siècle).

En réalité, Fielding lui a ainsi évité la potence. Car il n’entend pas se laisser impressionner par toutes les apparences qui désignent cet homme coupable d’avoir massacré six personnes dans une crise de folie. Fielding poursuit l’enquête. D’autant plus que Clayton, dans ses phases de lucidité, demande d’être jugé à nouveau, expliquant de façon convaincante qu’il était bien présent sur le lieu du crime… mais qu’il est innocent.

Comme il est de coutume dans les romans policiers, un autre mystère vient se greffer sur le premier. Une secte de fanatiques a fait disparaître Moll Caulfield, une femme sans ressources que Fielding et Jeremy ont tenté d’aider, et semble avoir incendié une synagogue… Les deux enquêtes vont bien sûr se recouper.

Fielding et Jeremy sont parmi les enquêteurs les plus attachants des séries policières historiques. On assiste à leur apprivoisement progressif au fil des épisodes. Comme la série Nicolas Le Floch (Nicolas et Fielding sont contemporains puisque leurs aventures ont pour cadre les années 1760-1770), la série Fielding de Bruce Alexander est aussi un long roman d’apprentissage, l’histoire d’un jeune orphelin éduqué peu à peu par les événements et par de plus âgés que lui (M. de Sartine pour Nicolas, John Fielding pour Jeremy). Alexander s’est exprimé à ce sujet : « Oh oui, Jeremy, c’est mon adolescence ! […] j’ai mis pas mal de moi-même dans Jeremy. C’est surtout émotionnel ; je n’ai pas replacé d’événements de ma vie. Il y a aussi mon père. Il est mort tôt, à 50 ans environ. Il était le meilleur homme que j’ai connu (ce qui ne signifie pas qu’il ne se fâchait jamais ou ne devenait jamais irritable, etc.). Je crois que j’ai mis beaucoup de lui dans Sir John » (citation tirée du livre Le roman policier historique).

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