Un long dimanche de fiançailles

Jean-Pierre Jeunet ne pouvait laisser une telle Mathilde enfermée longtemps dans un livre. La Mathilde de Sébastien Japrisot est en effet une héroïne telle que les aime Jeunet : généreuse, romantique, qui n’abandonne jamais sa quête. Et le merveilleux style de Japrisot dans Un Long dimanche de fiançailles rappelle souvent celui d’Amélie Poulain (des phrases du livre sont d’ailleurs reprises en voix off dans le film).

L’enquête que mène Mathilde Donnay entre août 1919 et l’été 1924 a pour but de retrouver la trace de Manech (Jean en basque) Etchevery, disparu sur le front le dimanche 7 janvier 1917 avec quatre compagons d’armes : Kléber Bouquet (l’Eskimo ou Bastoche), Benoît Notre-Dame (Cet Homme), Francis Gaignard (Six-sous) et Ange Bassignano (Droit commun ou le Marseillais). Mathilde pense que Manech – surnommé le Bleuet parce qu’il était de la classe 1917 – n’est pas mort.

Elle a dix-neuf ans, est belle comme Audrey Tautou et ne marche plus. Peut-être suite à une chute d’escabeau à trois ans. Le fait est que « les ordres de son cerveau n’allaient plus jusqu’à ses jambes ». Manech, son ami d’enfance, devait l’épouser.

Parce qu’ils se sont volontairement mutilés, les cinq hommes ont été condamnés à mort à Dandrechain et, bien que grâciés par Poincaré le 2 janvier, ont été accompagnés le soir du 6 jusqu’à une tranchée de première ligne appelée Bingo Crépuscule, dans le secteur de Bouchavesnes dans la Somme, puis lachés en direction des lignes allemandes. Leur escorte était entre autres composée du soldat Célestin Poux, du caporal Benjamin Gordes (Biscotte), du sergent Daniel Esperanza et du caporal Urbain Chardolot.

Par Petit Louis, l’ami de Klébert Bouquet que Mathilde a visité dans son bar de la rue Amelot, Véronique Passavant, la compagne de Bouquet, a appris que Mathilde enquêtait. Elle lui apprend qu’une autre femme à l’accent du midi (Tina Lombardi) l’a rencontrée en mars 1917 et refuse de croire en la mort de son compagnon Ange Bassignano, celui qui portait des bottes prises à un Allemand. Car elle sait qu’au moins un des cinq condamnés en a réchappé, et peut-être deux, et elle voulait savoir si Véronique avait revu Kléber après janvier 1917.

Mathilde, Tina, Véronique. Trois femmes qui espèrent que le survivant de Bingo Crépuscule est leur compagnon, et qui hésitent à se dire l’une à l’autre ce qu’elles savent ou même espèrent, car un condamné à mort survivant, ce serait de toute façon un futur bagnard à vie.

En mars 1920, suite à une annonce qu’elle a passée dans la presse, Mathilde est contactée par le détective Germain Pire, qui a enquêté en 1919 pour la femme du caporal Gordes. La mère du caporal Urbain Chardolot lui écrit aussi que son fils, décédé pendant l’été 1918, a dit avoir retrouvé cinq corps dans la neige, mais qu’au moins un, sinon deux, n’était pas celui qu’il s’attendait à trouver là…

Mathilde apprend plus tard que les deux amis inséparables, Bouquet et Gordes, se sont brouillés pendant l’été 1916. Elodie Gordes lui révèle bientôt que son mari, stérile, a demandé à Bouquet de lui faire un enfant, car Gordes en a déjà cinq – qui ne sont pas de lui – et un sixième signifie la radiation de l’armée.

Ensuite, jusqu’au 3 août 1924, l’enquête de Mathilde ne progresse pas vraiment. Tina Lombardi et Célestin Poux restent introuvables et Germain Pire a renoncé.
Puis, le 3 août 1924, Célestin Poux se présente en moto à la maison de Mathilde, à Hossegor. Germain Pire l’a retrouvé par hasard, grâce à une amie.

Célestin pense que les cinq soldats sont morts, et dit que Gordes est mort un peu plus tard, dans le bombardement de Combles.
Il explique à Mathilde que Gordes a échangé le 7 janvier ses bottes allemandes à Bouquet pour lui éviter une vengeance des Allemands s’ils le prenaient vivant. Or un soldat français avec des bottes allemandes a été aperçu le lendemain portant un plus jeune sur son dos. Tina Lombardi, qui l’a su, a pensé à Bouquet et son amant. Mais il s’agissait de Gordes et d’un autre appelé Desrochelles, partis lundi près de Bingo Crépuscule, sur le terrain regagné dans la nuit par les Français.
Célestin dit aussi qu’il a donné un gant rouge (main gauche) à Manech, pour protéger du froid sa main non bandée.

Mathilde se rend sur le champ de bataille, guidée par Célestin. Ils interrogent une femme qui a assisté après l’Armistice au déterrement des cinq corps et qui ne se souvient pas avoir vu de gant rouge…

Mathilde reçoit soudain, le 8 août 1924, à l’Auberge des remparts de Péronne, une lettre posthume de Tina Lombardi, qui vient d’être exécutée pour l’assassinat du colonel Lavrouye. Pour d’obscures ambitions personnelles, ce dernier avait gardé par-devers lui la grâce accordée par Poincaré aux cinq soldats. Tina a vengé la mort de Droit commun.
Dans sa lettre, elle informe Mathilde qu’elle a recueilli le témoignage d’un sergent-chef tué en mai 1917, qui prétendait que le soi-disant Desrochelles portait un gant rouge à la main gauche.

Mathilde recolle les morceaux. Cet autre Jean, ce Desrochelles, est peut-être Manech. Mathilde rappelle Germain Pire et le lance sur la piste de Jean Desrochelles, qu’ils retrouveront finalement à Noisy-sur-École, près de Milly-la-Forêt.

Entretemps, Mathilde a appris par un officier allemand qui s’est retrouvé prisonnier le lundi 8 janvier à Bingo Crépuscule qu’un cadavre français avec des bottes allemandes gisait dans une cave effondrée au milieu des tranchées. Gordes était donc revenu à Bingo Crépuscule et y était mort, alors qu’on le croyait tué plus tard à Combles ! Quel était donc le soldat aux bottes allemandes aperçu ensuite avec le soi-disant Desrochelles sur le dos ? Par élimination, Mathilde devine qu’il s’agit de Benoît Notre-Dame. Réfugié dans la cave pendant la nuit du 7, il a échangé ses bottes et sa plaque d’immatriculation avec Gordes, revenu le lendemain et qui, blessé, est tombé dans la cave pour y mourir. Il lui fallait en effet dissimuler à tout prix sa véritable identité. Sortant de son abri, il a aperçu Manech à moitié mort, lui a donné la plaque de Desrochelles et l’a éloigné du front.

En décryptant la dernière lettre codée qu’il a écrite à sa femme, Mathilde comprend que Notre-Dame l’a invitée, s’il en réchappe, à le retrouver à Bernay, près de Rozay-en-Brie, en Seine-et-Marne. Elle le retrouve et il confirme toute l’histoire. Elle ne le dénoncera pas.

C’est ainsi que Mathilde retrouve Manech, alias Jean Desrochelles, amnésique, qui s’est mis à peindre comme elle, et qu’elle vit sans doute encore à ses côtés.

Source : Romans policiers historiques de la Grande guerre.

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